Jacques DAVY DU PERRON (1555-1618)
Cantique de la Vierge Marie
Quand au dernier sommeil la Vierge eust clos les yeux,
...Les Anges qui veilloyent autour de leur maistresse,
Esleverent son corps en la gloire des Cieux,
Et les Cieux furent pleins de nouvelle allegresse.
Les plus hauts Séraphins à son advenement
Sortoient au devant d'elle et luy cedoient la place,
Se sentant tous ravis d'aise et d'estonnement
De pouvoir contempler la splendeur de sa face.
Dessus les Cieux des Cieux elle va paroissant,
Les flambeaux estoillez luy servent de coronne :
La Lune est sous ses pieds en forme de Croissant,
Et comme un vestement le Soleil l'environne.
Elle est là-haut assise aupres du Roy des Rois,
Pour rendre à nos clameurs ses oreilles propices,
Et sans cesse l'adjure au sainct nom de la Croix,
De purger en son sang nos erreurs et nos vices.
Elle rend nos desirs par ses voeux exaucez,
Et pour mieux impetrer ce dont elle le presse,
Remet devant ses yeux tous les actes passez
Qui le peuvent toucher de joye ou de tristesse.
Et lors elle luy va ses mamelles monstrant,
Qui dedans le berceau son enfant allaicterent,
Dont le doux souvenir va son coeur penetrant,
Et les flancs bien-heureux qui neuf mois le porterent.
Elle luy ramentoit la douleur et l'ennuy,
Les sanglants desplaisirs et les gesnes terribles
Que durant ceste vie elle endura pour luy
Quand il souffrit pour nous tant de peines horribles.
Comme le voyant lors si rudement traitté,
Son coeur fut entamé d'une poignante espine,
Et puis comme à sa mort pleine de cruauté
Le glaive de douleur lui navra la poitrine.
Helas ! de quels regrets et de quel desconfort
La Vierge en son esprit se sentit traversée,
Quand elle veid livrer son cher fils à la mort,
Et de combien de cloux son ame fut percée !
Elle le void meurtrir en tant et tant d'endroits,
Souffrir mille tourments et mille violences,
Et puis comme un trophée, attacher sur la croix
Toute notre injustice et toutes nos offences.
Elle serroit la croix de ses bras precieux,
Regardant par pitié ses blessures cruelles,
Et respandoit autant de larmes de ses yeux,
Comme il versoit de sang de ses playes mortelles.
L'air, la mer et la terre en sentoient les effects,
Et de leurs accidents accompagnoient sa plainte
Les fondements du Ciel ployerent sous leurs fais,
Et la terre trembla de frayeur et de crainte.
Le Soleil contristé print un voile de dueil,
Les astres de la nuict en plein jour resplendirent :
Les ossements des morts quitterent leur cercueil,
Et des durs monuments les pierres se fendirent.
Ames qui surpassez les rochers en durté,
Ames que les plaisirs si vainement affollent,
Vous ne gemissez point de le voir tourmenté,
Et tous les Elements à sa mort se desolent.
Les plus fermes esprits l'effroy les emporta
Voyant mourir celuy qui la mort espouvante,
Et des plus asseurez l'asseurance doubta.
Seule entre tous les saincts la Vierge fut constante.
Pour toute la douleur qui son ame attaignit,
Pour tous les desplaisirs et les regrets funebres,
Jamais dedans son coeur la foy ne s'estaignit
Mais demoura luisante au milieu des tenebres.
C'est celle dont la foy dure eternellement,
C'est celle dont la foy n'eut jamais de pareille,
C'est celle dont la foy pour notre sauvement
Creut à la voix de l'Ange et conceut par l'oreille.
C'est l'astre lumineux qui jamais ne s'estaint,
Où comme en un miroir tout le ciel se contemple ;
Le luisant tabernacle et le lieu pur et sainct
Où Dieu mesme a voulu se consacrer un temple.
C'est le palais royal tout remply de clarté,
Plus pur et transparent que le ciel qui l'enserre,
C'est le beau Paradis vers l'Orient planté,
Les delices du ciel et l'espoir de la terre.
C'est cette myrrhe et fleur et ce bausme odorant
Qui rend de sa senteur nos ames consolées ;
C'est ce Jardin reclus souëfvement flairant :
C'est la Rose des champs et le Lys des vallées ;
C'est le rameau qui garde en tout temps sa couleur,
La branche de Jessé, la tige pure et saincte,
Qui rapporte son fruict et ne perd point sa fleur,
Qui demeure pucelle et qui se void enceincte.
C'est l'Aube du matin qui produit le Soleil
Tout couvert de rayons et de flammes ardentes,
L'Astre des navigans, le Fare non-pareil
Qui la nuict leur esclaire au milieu des tourmentes,
Estoille de la mer, nostre seul reconfort,
Sauve-nous des rochers, du vent et du naufrage.
Ayde-nous de tes voeux pour nous conduire au port,
Et nous monstre ton Fils sur le bord du rivage.
René GHIL (1862-1925)
Les herseurs - sous la lune
Ainsi qu'une prière et qu'un ennui, soleilles -
...Tu, lune pleine ! haut au haut des peupliers !
Tout a l'air d'eaux : et l'Homme inému des merveilles
Mène par la lumière, ayant l'amour des veilles,
Les pas las des Taureaux, Trois et loin réguliers.
Traîneurs doux de l'aiguë et de la large herse,
Homme et Taureaux, la lune, aux pâles prés, les a
Mornes et seuls grandis : et la paix large, à verse
Molle, neige - : et, mouillé de l'impalpée averse,
L'équipage impavide et religieux va.
Doux de lune, vont las les Taureaux pleins de songe,
Un seul, et deux : et, sur l'épaule l'aiguillon,
Très haut l'Homme en avant en la paix grande plonge,
Tandis que leur dos maigre et noir marqué s'allonge
Hors mesure près d'eux, et rampe noir et long...
Haut sur les peupliers, la lune vénérienne
A des spleens graves, et, phosphorique, le noir
A des eaux de miroirs : mais las ! que mésavienne,
Quand à plein Temps le noir prendra l'horreur pour sienne
La pluie, - et, non sous Terre, aux remous sans espoir
De l'eau large qui pisse et s'éverse aux semaines,
Nagera le grain nul : aussi, grands mesureurs
De leurs Terres, avant qu'ait loin, prodigue en peines,
Tout voilé l'ample herse, âpres et longs d'haleines,
Vont-ils sans le désir des lourds sommeils vainqueurs !
Sans paix, allés, venus, doux de rêve lunaire
vont-ils : et, las d'aller, s'enrêve le herseur :
Ayant l'air de songer, en un songe sévère,
Au nu large, tout sexe et vulve, de la Terre,
Qui s'ouvre, génésique, au germe envahisseur !